INITIATION FÉMININE

INITIATION FÉMININE

par Liliana Pazienza

(Exposé lors du séminaire du CPPJ en mars 2024 autour du thème de l’initiation féminine et en lien avec le film Wild [1] et autres contes, mythes et récits)

 

Du mot latin initiātus qui signifie essentiellement « commencer, être à l’origine de » ou « entrer dans un nouveau début » (etymonlie.com), le mot initiation désigne la participation à des rites secrets. Il s’agissait d’initier un adepte, le myste, de l’instruire dans des mystères ou connaissances sacrées. Jusqu’à nos jours, le mot initiation est attribué à une entrée dans un processus de transformation par des épreuves menant jusqu’à une mise à mort symbolique, des expériences en lien avec la notion de mortification (mortificare = faire mourir) pour aboutir à une renaissance [2]. A la sortie du processus, le désormais initié n’est plus la même personne qu’avant la traversée initiatique, il est initié aux mystères du monde invisible, il y est relié.

Traditionnellement des rites précisément établis, le plus souvent religieux, permettaient aux participants de se prêter – plus ou moins volontairement – à des pratiques où, de manière symbolique, l’adepte était amené à affronter ses démons intérieurs (projetés ou symbolisés selon le rite) pour en sortir transformé ou, pour employer un terme qui nous parle davantage, plus avancé dans sa voie d’individuation [3].

Dans nos vies occidentales modernes ces pratiques se font rares. Ainsi, les étapes d’évolution psychologique sont traversées de manière plus ou moins consciente à travers les épreuves fournies par le réel de chacun. Au-delà des étapes telles que l’adolescence, l’entrée dans la vie active, l’installation dans une vie de couple, le fait de devenir parent, etc., toute confrontation avec un réel éprouvant qui nécessite d’une forte introspection et d’une remise en question des repères jusque-là valables, a le potentiel d’activer l’archétype de l’initiation comme une voie de transformation profonde et individuante. Et puisque nous voilà en train d’employer le terme d’individuation, il me semble opportun d’évoquer que le chef d’orchestre du processus initiatique serait donc le Soi jungien; c’est à dire, la dynamique unificatrice de la psyché.

Dans cet exposé, je vous propose de nous intéresser à l’initiation telle que traversée par les femmes ayant, l’année dernière, étudié l’expérience initiatique chez les hommes.

 

UN MOT SUR LA PSYCHOLOGIE FEMININE

Je souhaite me référer ici, entre autres, au jungien de deuxième génération Erich Neumann et à son travail approfondi sur l’émergence de la conscience [4] dans une tension entre masculin et féminin, ainsi que sur la psychologie féminine [5], en passant par l’archétype du Féminin et celui de la Grande Mère[6].

Neumann suggère qu’à partir d’un état initial d’inconscience pure et d’identification-fusion à la mère, l’émergence d’un moi conscient s’opère chez le petit humain par un processus de différenciation, de détachement ou défusion de l’étreinte maternelle. Ce mouvement de défusion correspond au principe masculin (ou patriarcal) dans l’inconscient, la tendance à la séparation/différentiation qui s’oppose au principe féminin, celui de la Grande Mère (ou principe matriarcal) qui conserve, qui veut et peut tout contenir.

C’est lors de cette première séparation que se présente déjà une différence entre les sexes, différence qui se rejouera sans cesse dans toutes les étapes de développement de la personnalité. Le garçon se détache d’une identification qui s’avère « fausse [7] » et épouse naturellement le mouvement de conscientisation progressive de son étrangeté d’avec la mère. Il devient lui-même, c’est à dire un garçon, psycho-biologiquement autre que sa mère. Rester dans la fusion maternelle le rendrait inadapté (puérile, castré). La fillette en revanche peut réaliser qu’elle n’est pas sa mère tout en restant identifiée au caractère féminin de totalité et de fusion incarnée par sa mère ; autrement dit, tout en restant dans la Grande Mère. Son adaptation n’est pas compromise, elle restera juste très féminine sous une forme immature comme dans le mythe de Déméter et Perséphone [8] où la fille jouit d’une belle existence dans l’insouciance et la parfaite identification à tout ce qui est archétypiquement féminin : la mère, la nature nourricière et généreuse, la matière, l’innocence, l’exclusion du masculin.

De retour au petit humain, sa conscience se développe grâce à la tendance séparatrice de l’inconscient qui s’active pour la fille comme pour le garçon. Mais contrairement au garçon pour qui ce mouvement séparateur équivaut à une libération, l’énergie séparatrice est subie par la fille, dans le sens d’en être saisie, intrusée. Dans les mots de Neumann, cette force inconsciente masculine (ou patriarcale, énergie du Grand Père) qui sépare et qui détache est pour elle éblouissante, accablante, pénétrante, ravisseuse (Hadès ravit Perséphone) [9].

Dans un cas, la fille résiste : face à la dynamique psychique masculine de différentiation vécue par elle (par son moi émergeant) comme une effraction, elle s’en détourne restant très identifiée à sa propre mère et purement féminine [10]. Marie Louise Von Franz parle d’une identification archaïque mère-fille : « Encore et encore, cela est le grand problème de la psychologie féminine. Les femmes, beaucoup plus que les hommes, ont tendance à s’identifier à leur propre sexe, et à rester dans cette identification archaïque »[11] . Le masculin de l’inconscient de la fille d’une part peine à s’activer (c’est-à-dire, à séparer) et d’autre part, ne s’incarne pas.

Dans l’autre cas, son moi apeuré et à la fois ébloui, cède, se rend et l’invasion devient fécondante. On voit ici – en contraste à l’identification naturelle au principe féminin (ou à la Grande Mère) qui la relie à la nature, à la matière et à la totalité – l’arrivée de l’esprit, du logos discriminant et capable d’abstraction, et ceci habituellement grâce à la présence d’un père (ou autre figure paternelle). Le piège : fascination avec l’esprit père, la femme devient « la fille du père éternel [12] », connectée seulement au transpersonnel (philosophie, religion, politique, etc). Elle devient l’anima des hommes, muse, inspiratrice portée par l’esprit au prix de sa connexion aux aspects terriens de sa nature féminine profonde.

En résumé, la femme doit d’une part, se libérer de l’identification naturelle au grand féminin maternel sans y être forcément incitée par la vie. Ceci passe par l’action de la tendance masculine de l’inconscient qui vise à ce qu’elle se désidentifie de la mère pour accueillir le père archétypique ce à quoi elle résiste car cela est vécu comme surpuissant et transperçant. D’autre part, elle devra sortir d’une trop forte identification au grand père (esprit, logos) pour retrouver sa nature féminine.

 

DU COTÉ DE L’INITIATION 

Ainsi, et de manière très schématisée et synthétique, la représentation de ce qui constitue un processus de transformation sous forme de quête ou d’initiation nous mène à constater que là où l’homme, sous l’archétype du héros, doit affronter le dragon – la grande mère dévoratrice qui le fait régresser, qui l’enferme dans l’immaturité- la femme doit se laisser saisir et se laisser féconder par la force patriarcale-spirituelle de l’inconscient, tout en étant capable de retrouver, à terme, sa connexion au féminin mais de manière conscientisée. 

Qui dit se laisser saisir et en être fécondée, dit gestation, accouchement, donner naissance. En effet, et toujours en référence à E. Neumann, le caractère transformateur du féminin archétypique (qui possède aussi et d’abord un caractère élémentaire conservateur) découle essentiellement de ce qu’est par excellence la source de vie par métamorphose, c’est à dire la grossesse [13]. Ainsi, la transformation au féminin se présente comme une grossesse où la femme est à la fois « organe et instrument » de la transformation de l’enfant et de sa propre transformation. Elle devra ensuite « nourrir, protéger, garder au chaud et continuer à porter » cette nouvelle vie et cette même attitude nourricière et protectrice devra être adoptée concernant sa propre métamorphose [14].

D’où le constat que ce qui constitue une traversée initiatique chez la femme va se déployer non pas sous l’influence de l’archétype du héros comme pour l’homme mais plutôt dans un mouvement de retour à une expérience féminine d’être saisie et fécondée et, de porter en soi pour donner naissance. L’enfant né est le nouveau stade de conscience. Marie Louise Von Franz parle d’une retraite qui « vue de l’extérieur peut paraitre une période de complète stagnation mais qui est en réalité un temps d’initiation et d’incubation où une rupture profonde se répare […] Ce thème fait contraste avec la quête plus active du héros masculin qui doit souvent s’en aller dans l’Au-delà abattre le monstre [15]». Cette retraite s’illustre dans nombreux récits tels que le mythe de Déméter et Perséphone, le conte de la Belle au bois dormant, ou encore, dans le mythe de Eros et Psyché lors que cette dernière s’endort dans le royaume de Hadès ainsi que dans une variation de ce même thème dans le conte de La Belle et la Bête [16] où l’héroïne se voit contrainte à se retirer de la vie et à accepter l’exile dans le royaume inaccessible de son futur époux.

Après réflexion, le constat très schématisé de quête masculine héroïque versus initiation féminine plus passive gagne à être nuancé puisque parfois les femmes sont amenées à adopter l’attitude du héros dans des circonstances de vie où il s’agit de survivre ou de réussir face à des épreuves de tout ordre, externes et/ou internes. Ceci sollicite le masculin en elles ; conscientisé ou pas, c’est l’animus qui mène le combat pour ainsi dire. Cet animus, devient-il à ce moment le héros rédempteur qui délivre l’héroïne aux prises avec des forces adverses ? Si le moi de la femme est conscient de cette invasion par le masculin en elle et qu’elle se laisse saisir restant ainsi dans le principe de devoir céder à quelque chose, l’épreuve initiatique est traversée sous forme de dialectique avec le masculin intérieur qui se présente dans son double aspect envahisseur/allié. Ceci peut alors mener à la collaboration, voire union, des deux attitudes féminine et masculine. La femme en sort ayant accédé à un stade de conscience plus avancé. Sans conscience, elle est pleinement identifiée à son masculin guerrier, elle devient une amazone au combat et il n’y a pas de réconciliation entre sa nature féminine et son principe masculin. Soit elle bascule de l’un à l’autre, soit elle s’identifie à l’un au détriment de l’autre.

 

FILM WILD ET AUTRES RECITS DE TRANSFORMATION FEMININE

Parfois c’est un animus négatif et destructeur qui est l’adversaire et l’épreuve initiatique consiste à l’affronter pour passer du stade de possession au stade de dialectique et d’intégration. Ceci nous amène à un des thèmes de notre film Wild où l’héroïne, meurtrie par un deuil non élaboré et par des remontées de la mémoire traumatique liée à son enfance d’abus et de violence, se trouve engloutie dans une spirale d’autodestruction. MLFV nous éclaire sur l’action anti-vie d’un animus surpuissant car non-intégré. Comme le Barbebleu du conte qui « est tout juste un meurtrier [et qui] incarne l’aspect mortifère, féroce de l’animus dans sa forme la plus diabolique [17] […], l’animus, sous sa forme négative […], détourne la femme de la vie, il assassine la vie pour elle [18]». L’héroïne du film a effectivement sombré dans les drogues et le sexe impersonnel, elle devient une junkie vivant dans des conditions terriblement sordides.

Une sexualité débridée, une chute dans la déchéance, est-ce en quelque sorte un détournement de l’attitude qui consiste à se rendre et à se laisser saisir ?  Après tout, les mystères auquel le myste est initié et qui sont secrets comportent souvent des rites sexuels comme dans les Mystères d’Éleusis (consacrés d’ailleurs au culte de Déméter et Perséphone).  « Toute maladie psychologique est une initiation » nous dit MLVF « […] être initié à quelque chose signifie aller dedans. Le premier pas est souvent une chute dans la noirceur et ceci apparait sous forme dubitative et négative… [19]». Ou encore : l’initiation est un processus de transformation pour lequel « l’on doit être prêt à payer le prix en termes de souffrance [20]».

En tous les cas, l’héroïne de Wild est enfermée dans une spirale mortifère : « Après que je me sois perdue dans l’étendue sauvage de mon chagrin, j’ai dû trouver mon propre chemin de sortie … [21]».  Puisqu’est sauvage ce qui est à l’état vierge, non domestiqué, rude et hostile, on pourrait parler d’une intuition puissante la poussant à aller d’un « chagrin sauvage » vers une nature sauvage, et de mettre ainsi la souffrance (dans ses mots « l’épuisement, la privation, le froid, la chaleur, la monotonie, la douleur, la soif, la faim, la gloire et les fantômes qui me poursuivaient [22] ») au service d’une quête de soi, d’un chemin de guérison.

Nous pouvons nous intéresser ici au rôle que joue la nature dans l’initiation féminine. Dans les traditions, contes et mythes l’initiation féminine intervient très souvent dans un contexte de rapprochement à la nature, aux aspects cycliques de celle-ci. Jouent un rôle les animaux et des notions telles que la fertilité ou l’aridité, ou encore la réceptivité, le creux qui contient, la gestation, la purification par le sang, etc. Biologiquement la femme évolue dans un corps qui peu à peu épouse des formes rondes, qui se voit purifié et renouvelé par la sécrétion de sang, l’arrêt de celui-ci lors de la fécondation et de la gestation, et une fois l’enfant sorti, son retour sous forme de lait maternel et plus tard, sous forme d’un retour des couches comme on dit. « Les mystères de transformation des femmes sont principalement des mystères de transformation par le sang [23]» nous dit Neumann. Il n’est pas surprenant de retrouver ces éléments plus ou moins symbolisés lors des traversées dites initiatiques par des femmes (par exemple, le sang dans la première scène du film Wild).

Notre héroïne va en effet vivre une véritable transformation lors de cette marche interminable. Ses sens se verront stimulés et sa pensée se mettra au service de ses perceptions et de ses intuitions ; elle sera peu à peu saisie par les esprits de la nature, et ses réflexions seront moins le résultat des pensées logiques et pertinentes (conscience solaire) que des réalisations (conscience lunaire) quant à la nature profonde de ce que c’est que d’être en vie. Elle écrit :

Ce qui comptait vraiment était intemporel. C’était cette force qui les avait poussés à lutter envers et contre tout pour que ce chemin existe, cette même force qui nous propulsait vers l’avant, les autres randonneurs et moi, lors des journées les plus difficiles. Ça n’avait rien à voir avec l’équipement, les chaussures, les modes, les philosophies d’une époque ou d’une autre, ni même avec la nécessité de se rendre d’un point A à un point B. C’était lié à la sensation qu’on éprouve quand on est en pleine nature. Quand on marche pendant des kilomètres sans autre raison que de contempler l’accumulation d’arbres, de prairies, de montagnes, de déserts, de ruisseaux, de rochers, de fleuves, d’herbe, de levers et de couchers de soleil. C’était une expérience puissante et fondamentale. J’avais la conviction qu’il en avait toujours été ainsi depuis les débuts de l’humanité, et que tant que la nature existerait à l’état sauvage, cela ne changerait pas [24].

Le chemin a ici toute sa dimension symbolique puisqu’il est porteur d’une tension d’opposés, ou plutôt d’une circularité (Ouroboros) : il permet d’une part de faire l’expérience d’avancer, de se diriger vers une destination finale sachant d’autre part que la véritable finalité n’est autre que le fait d’être en train de cheminer. Et puis, on voit la transformation en cours chez la marcheuse : il s’agit moins de prendre une direction et de comprendre philosophiquement (principes masculins); se font sentir davantage les perceptions et sensations qui donnent lieu à un savoir, à « une conviction » (principe féminin). Voilà émerger une autre manière d’expérimenter le monde, une manière qu’on pourrait imaginer du côté de ce que Neumann appelle la conscience féminine ou matriarcale [25].

Neumann ajoute une autre précision importante à propos de la transformation chez la femme et en analogie avec la métamorphose simultanée qui s’opère chez elle et son enfant avant et après l’accouchement : « Ainsi, pour la femme le caractère transformateur – y compris celui de sa propre transformation – est dès le début lié au problème de la relation à l’autre [26]».  Cet autre étant le petit être qu’elle porte en elle et dont elle va devoir prendre soin. Dans la Belle et la Bête dont la version originale décrit la Bête comme monstrueuse et répugnante ne sachant exprimer rien d’autre que sa pulsion sexuelle, l’héroïne finit par accepter d’épouser le monstre parce qu’elle éprouve de l’empathie face à la souffrance de ce dernier. En effet, ce conte pourrait se résumer à un dialogue entre la Belle et son ravisseur pendant lequel l’héroïne parvient, de manière très féminine par la conscience matriarcale, à saisir qu’à l’intérieur de ce monstre se cache un être fragile et souffrant, et le sentiment de compassion qui finit par l’unir à lui, est à la fois force transformatrice et le fruit de cette transformation. Que l’on interprète la Bête de ce conte comme un animus monstrueux qui se voit rédimé par le courage (masculin) et la compassion (féminine) de l’héroïne, ou comme un prince charmant accessible seulement quand la femme quitte son père [27], la Belle fait l’expérience d’une croissance intérieure par le biais de la relation à l’autre.

 

L’histoire de Cheryl Strayed (Cheryl Égarée/Errante [28])

Le film Wild est basé sur le roman autobiographique du même nom de l’écrivaine américaine Cheryl Strayed [29]. Son père et sa mère avaient 19 ans à sa naissance. Neuf ans et trois enfants plus tard, la mère quitte le père pour échapper aux coups. Cheryl ne verra son père alcoolique et violent, mais qu’elle aimait de tout son cœur de petite fille, que trois fois après la séparation. Sa mère et les trois enfants errent de foyer pour mères célibataires en foyer, menant une vie de grande précarité cependant adoucie par l’attitude courageuse et aimante de la mère. Elle dira de sa mère qu’elle fut « le cadeau de sa vie [30] ».

Des faits qui n’apparaissent pas dans le film permettent de saisir le degré de destructivité associée au masculin. Par exemple, le père confiait la petite Cheryl à son propre père qui, pédophile, abusait de sa petite fille. On peut voir le lien entre cette exposition à un masculin violeur-destructeur et la formation du masculin intérieur anti-vie dont nous avons parlé plus haut.

Est-ce que la difficulté à se relier au masculin et aux hommes de manière non-dissociée venait de ses expériences précoces traumatiques d’hommes destructeurs ?  Probablement. Pendant sa longue marche elle sera amenée à rencontrer des hommes plus ou moins bienveillants et à devoir se débrouiller, de manière féminine par la ruse (le routier et les deux hommes voleurs et potentiellement violeurs), de manière héroïque se montrant plus forte (le randonneur qui n’ose pas la traversée hivernale contrairement à elle) et de manière reconnaissante (l’homme qui l’incite à se délester de ce qui l’alourdi).

Si la vocation ultime de l’animus est celle d’être un psychopompe (« guide des âmes »), c’est-à-dire, de relier le moi à la dynamique individuante de l’inconscient, l’apparition discrète mais rassurante du renard, animal qui dans les traditions celtes guide les âmes vers l’au-delà, nous laisse entrevoir que le masculin en elle, sous une représentation thériomorphe, devient ce guide qui la relie au monde des esprits, des ancêtres et des choses mystérieuses et invisibles. Ce renard représente un esprit de la nature et de l’au-delà auquel elle est dorénavant reliée car initiée.

« L’initiation a lieu grâce à un long périple et à un retour final à la Terre [à la vie normale] du prophète ou shaman qui connait désormais des choses de l’autre monde » souligne MLVF [31] . Le trail (chemin) a été pour Cheryl à la fois retraite et périple ; elle y a affronté ses peurs, sa douleur et ses démons en se laissant guider par son instinct et son intuition et en se reliant à ses ressources intérieures.  Comme si son Soi agissait en maître de cette initiation.

A son retour, elle sait, elle connait. Elle connait des choses de l’autre monde. Ainsi, à la fin du périple quand devient visible le Pont des Dieux (« quel nom pompeux » avait-elle dit au départ) qui signale la fin de sa marche, et qu’elle aperçoit au loin son compagnon le renard, elle se dit : « Ainsi allait ma vie – comme toutes les vies, mystérieuse, irrévocable et sacrée. Si proche, si présente, si mienne. Oh combien cela était vital que de la laisser être… »

 

Notes:

[1] (Pictures, Wild, 2014)

[2] « Ce morcellement-dépècement du corps au cœur des mystères archaïques est une donnée fondamentale de l’imaginaire humain […] Ensuite commence la reconstitution […] Durant cette mort initiatique le futur Chaman monte au Ciel – ou descend en Enfer … »  Pierre Solié, Médicines initiatiques (Solié, 2013) p 78-79

[3] On doit cependant reconnaitre que toutes sortes d’initiations sont envisageables, pas nécessairement dans un but d’évolution positive comme l’entrée dans des sociétés criminelles, sectes ou groupes d’ordre sociopathique.

[4] (Neummann, 1970) The Origins and History of Consciousness

[5] (Neumann, The Fear of the Feminine, 1994)

[6] (Neumann, The Great Mother, 1963)

[7] (Neumann, The Fear of the Feminine, 1994), p 8

[8] Ibid., p 9 – 10

[9] Ibid., p 17

[10] Ce « purement féminine » est nuancé par le fait que le Moi en tant que complexe a émergé dans une dynamique masculine de séparation, d’où la difficulté de la femme comparée à l’homme : son Moi est masculin et contraire à sa nature profonde.

[11] (Von Franz, The Feminine in Fairy Tales : revised edition, 1993), p 167

[12] (Neumann, The Fear of the Feminine, 1994), p 21

[13] (Neumann, The Great Mother, 1963), p 31

[14] Ibid., p 31-32

[15] (Von Franz, The Feminine in Fairy Tales : revised edition, 1993), traduction personnelle p 106

[16] (de Villeneuve & Reid) Le conte parut à l’origine dans l’ouvrage de Mme de Villeneuve intitulé « La jeune américaine et les contes marins » à La Haye, aux Dépens de la Compagnie, en 1740. Le conte devint célèbre dans sa version reprise et abrégée – et assez édulcorée – par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont dans son manuel d’éducation « Les Magasins des enfants » en 1756.

[17] (Von Franz, The Interpretation of Fairy Tales, 1996), p 170, traduction personnelle

[18] Ibid., p 16

[19] (Von Franz, The Feminine in Fairy Tales : revised edition, 1993), p 74

[20] Ibid., p 101

[21] (Strayed, Wild : marcher pour se retrouver, 2013)

[22] Ibid.

[23] (Neumann, The Great Mother, 1963), p 31

[24] (Strayed, Wild : marcher pour se retrouver, 2013)

[25] Neumann parle de conscience matriarcale (chapitre intitulé La lune et la conscience) : “Ici, comprendre n’est pas un acte de l’intellect […] ; il s’agit plutôt d’une ‘conception’. Ce qui doit être compris doit d’abord pénétrer la conscience matriarcale dans le sens complet, sexuel et symbolique d’une fructification. Ceci signifie que concevoir et comprendre ont donné lieu à une transformation de la personnalité » (Neumann, The Fear of the Feminine, 1994), p 95

[26] Ibid., p 31

[27] Pour rappel, la Belle, qui au début du récit est prise dans des indentifications collectives de type « fille substitut de la bonne mère nourricière » et en même temps « prunelle des yeux de son père », va volontairement se rendre captive de la Bête après avoir accepté de se substituer à son père et le sauver d’être exécuté par la Bête.

[28] A propos de son choix de se nommer désormais Strayed qui signifie égarée/errante : « Je n’avais pas adopté ce mot en tant que nouveau nom car il définissait les mauvais aspects de mes circonstances ou de ma vie, mais parce que dans mes journées les plus noires – ces mêmes journées où je me nommais moi-même – j’avais vu le pouvoir de cette noirceur. J’avais vu qu’en effet je m’étais égarée et que j’étais une égarée et que des endroits les plus sauvages où mon égarement m’avait conduite, j’ai connu des choses que je n’aurais pas connu autrement ». (Strayed, Wild : marcher pour se retrouver, 2013)

[29] (Strayed, Wild : marcher pour se retrouver, 2013)

[30] (Strayed, Tiny Beautiful things : Advice on Love and Life from Someone Who’s Been There, 2012) , p 47

[31] (Von Franz, The Feminine in Fairy Tales : revised edition, 1993), p 155

Bibliographie

de Villeneuve, G.-S. e., & Reid, M. (s.d.). Le Belle et la Bête : édition établie et présentée par Martine Reid.Paris: Gallimard.

Neumann, E. (1963). The Great Mother. Princeton, New Jersey: Princeton University Press.

Neumann, E. (1994). The Fear of the Feminine. Princeton, New Jersey: Princeton University Press.

Neummann, E. (1970). The Origins and History of Consciousness. Princeton, New Jersey: Princeton University Press.

Pictures, F. S. (Producteur), Strayed, C. (Écrivain), & Vallée, J. M. (Réalisateur). (2014). Wild [Film]. Etats Unis.

Solié, P. (2013). Médicines initiatiques aux sources des psychothérapies. Paris: Le Martin-Pêcheur.

Strayed, C. (2012). Tiny Beautiful things : Advice on Love and Life from Someone Who’s Been There. New York: Vintage Press, a division of Random House, Inc.

Strayed, C. (2013). Wild : marcher pour se retrouver. Paris: Arthaud – l’Esprit voyageur .

Von Franz, M. L. (1993). The Feminine in Fairy Tales : revised edition. Boulder, COLORADO: Shambala Publications, Inc.

Von Franz, M. L. (1996). The Interpretation of Fairy Tales. Boston, Massachussets: Shambala Publications, Inc. .